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Certains croient que notre époque ne connaît plus de tabous. Que nos artistes et humoristes les ont tous pourfendus un à un. Et pourtant celui immense du regard persiste. Même chez les plus marginaux. Combien de fois plus subtil que celui du sexe. Les angles morts tacites affirment leur emprise malgré nous.

Un de nos plus grands silences se pose ainsi sur notre principale manière en tant qu’humains d’entrer en contact avec nos semblables. Se regarder dans les yeux. Rien d’étonnant si nos scènes contemporaines répètent à l’infini notre sentiment d’isolement. De tous seuls ensemble. De sept milliards de solitudes.

Cette capacité à faire face à autrui en silence. Sans gêne. Sans tentative d’intimidation. Ou de séduction. Nous la possédions pourtant tous à notre naissance. Le charme fascinant des jeunes enfants. Celui qui arrive à faire tomber temporairement. Les plus cristallisés des masques. Mais rapidement nos interactions ont fait de nous des traumatisés du regard. Combien d’enfants ont été forcés d’ouvrir grandes leurs paupières. Pour absorber sans défense le feu déchaîné d’un adulte.

«Hey!! Regarde-moi quand j’te parle!»

Notre soif d’entrer en contact avec des visages n’a pas de fond. Les experts marketing le savent. Les couvertures de magazines et les annonces publicitaires nous offrent des milliers de compensations. En gros plans. Nous pouvons contempler leurs yeux à loisir. Sans craindre d’être vus. D’être jugés. D’être attaqués. Facebook symbole d’une ère. Le Livre des Visages.

Si l’exhibition des faciès dans les médias va de soi. La popularité croissante du port de verres fumés chez nos stars. Que le soleil brille ou non. A de quoi nous questionner. Certains diront qu’il ne s’agit que d’un voile pour cacher à leurs fans leur niveau réel d’intoxication. Au-delà du motif, cette mode permet désormais à Monsieur Madame Toutlemonde de littéralement se dissimuler derrière leurs Ray-Ban et autres montures. Tout en ayant l’air «cool».

Nous oublions parfois que les lunettes se classent dans la catégorie des prothèses. Des objets permettant de pallier à une infirmité. Transformer une prothèse en symbole de «coolitude». C’est un peu comme d’imaginer un futur où les jeunes en viendraient à vouloir marcher avec des béquilles signées de grandes marques.

Cette atrophie collective de la vision. Pratiquement banalisée depuis le venue des écrans. Idéalisée depuis l’apologie du geek. Cette atrophie ajoute au tabou visuel une nouvelle dimension. Les prochaines générations seront ainsi peut-être toutes handicapées du regard. Et la technologie aura alors l’opportunité de superposer à leur vision du monde. Une multitude d’images. L’intégration de l’écran sera achevée. Totale. Google a déjà entamé le pas (ex). Un échange visuel franc. Sans ajouts extérieurs. Sans bruits. Restera alors peut-être le privilège des amoureux des premiers jours. Des mères avec leurs nouveaux nés. Et de certains groupes New Age, adeptes de sessions intensives de «eye gazing».

Nous savons quant à nous que ce contact demeure latent avec tout autre être humain. Et avec plusieurs animaux aussi d’ailleurs. Les propriétaires de chats et de chiens le savent bien. Se regarder dans les yeux en silence n’a rien d’ésotérique. Rien de New Age. Ni même d’exclusivement romantique. Lorsque nous considérons les autres corps plus globalement. Que de simples objets de désir à consommer. Se regarder est simplement notre lien de base en tant qu’êtres humains. «I see you» remplaçait «I love you». Dans le plus grand blockbuster de l’histoire du cinéma (ex).

Plusieurs affirment que les yeux sont les fenêtres de l’âme. Nous ne nous prononcerons pas sur la question de la vie après la mort. Mais nous réalisons par contre que nos visages servent d’écrans à nos émotions. Et que si nous arrivons à arrêter de les juger. Pour oser les ressentir. Elles nous permettent de découvrir un type de lien. Que nous croyions jadis impossible.

Nous n’abusons pas de cette ouverture pour autant. Comme le font pour affirmer leur ascendance certains leaders spirituels ou autres idoles. Mais nous pouvons la célébrer au quotidien avec nos proches. La célébrer comme une fête. En tant qu’êtres égaux.


* * *


Citation de Joseph Jaworski, Fondateur du American Leadership Forum et du Global Institute for responsible leadership, dans Synchronicity, the inner path of leadership, 1996 :



«lorsque nous sommes dans cet état d’être, ouverts à la vie et à ses possibilités, prêts à passer à l’étape suivante telle qu’elle se présente à nous, nous rencontrons des gens remarquables qui apportent d’importantes contributions à nos vies. Cela se produit en partie via la rencontre de nos regards. (…) Ce n’est pas du tout une question de sexualité, ni de masculinité et de féminité. Mais d’humains qui connectent. (…) Une fois que vous avez vécu une telle rencontre dans cet état d’ouverture, elle se reproduira. Et quand ce sera le cas, vous le saurez immédiatement, car c’est un phénomène très spécial.» (traduction libre de l’anglais)




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