menu | contact : info@manifestepost.org
article précédent | suivant










Combien de parents tentent par tous les artifices du monde. De faire apparaître cette expression de «bonheur» chez leurs fils et chez leurs filles. Pour laisser dans leurs albums. Des souvenirs aux allures joyeuses.

Les célèbres cris de ralliement. «Pepsi!» «Cheese!» Vous vous souvenez?

Nous pouvons généralement bien distinguer durant les premières années de développement de l’enfant. L’apparition de ce nouveau sourire. Celui qui se démarque de l’autre. Plus naturel. Qui surgit de manière spontanée depuis sa naissance. Ce deuxième sourire, souvent un peu exagéré et maladroit à ses débuts, cherche à plaire. À remplir les attentes des autres.

De nombreux adultes conservent cet impératif développé pendant leurs jeunes années. Ils affichent en quasi permanence une sorte de masque de joie plus ou moins crédible. Malgré leur état émotif réel. L’émotion de celui ou celle qui se tient en face d’eux n’y change rien. Le milieu dit spirituel, dans sa course au bien-être et à l’harmonie, encourage bien souvent malgré lui ce jeu de rôle. Le mouvement de la pensée positive aussi d’ailleurs. En faisant comprendre à toute personne souffrante. Qu’il n’en tient qu’à elle d’être heureuse. De voir le bon côté des choses. Good vibes only. Nulle raison de s’étonner si le monde corporatif en a fait sa philosophie. Des employés dociles, souriants et zen. Malgré les risques croissants de coupures.

Plus ou moins consciemment, plusieurs ont intériorisé que les autres ne les aimeront que s’ils sourient. Et une fois devant le miroir. Ils peinent à ressentir leur beauté sans simuler les traits de la joie. Si ce sourire artificiel peut en berner et en séduire plusieurs. Il arrive difficilement à nous tromper nous-mêmes. À notre tristesse s’ajoute alors celle de ne pas oser regarder en face ce que nous vivons vraiment. Et ainsi certaines personnes «rayonnantes», admirées par leur entourage en entier, peuvent un jour s’effondrer. Ou même s’enlever la vie.

Par ailleurs ce masque se trouve de plus en plus sollicité avec la venue des Facebook, Instagram, et autres albums virtuels. Dans un monde où chacun est désormais armé en permanence d’un appareil photo. Dans une société de paparazzis potentiels. Nous devons être prêt à dégainer notre sourire en tout temps. La montée en popularité du selfie naît peut-être finalement de ce désir de contrôler nous-même notre image publique. Contrebalancer sur le web toutes ces autres saisies de notre corps que nous ne maîtrisons plus comme nous le voudrions. Le selfie recherche cette pose idéale. Cette émotion parfaite. Souvent celle qui saura dire : «Regardez comme j’ai l’air heureux, heureuse!». Et nous attendons impatiemment des autres la confirmation de notre crédibilité. «Que tu es belle!!» «Que tu es radieux!» «Que tu as l’air heureuse!»… Mais le réconfort réel ne vient pas. Parce que nous n’arrivons toujours pas à sentir notre beauté. Nous-même. Face à notre reflet.

Évidemment tous ces sourires ne nous leurrent pas. La popularité des antidépresseurs et de l’alcool n’a jamais été le symptôme d’une société débordante de joie. Les yeux de Pharrell Williams dans son célèbre hymne contemporain Happy (ex) peinent à nous convaincre. Nous y décelons plutôt une tristesse bien palpable. Tristesse qui peut d’ailleurs nous mener à une joie d’un tout autre ordre. Si seulement nous avons le courage d’y faire face ensemble. Le bonheur de ne plus être seul caché derrière notre masque.

Keep it real.


* * *


Citation d’Alexander Lowen, psychothérapeute,
dans La joie retrouvée, 1995 :


«J’ai toujours été surpris de constater à quel point les gens ne connaissent pas l’expression de leur visage et de leurs yeux. Pourtant, ils se regardent tous les jours. S’ils ne voient pas leur expression, c’est parce qu’ils ne veulent pas la voir, de peur de ne pas la supporter ou de peur que les autres ne la supportent pas. Alors ils portent un masque, un sourire figé qui proclame au monde que tout va bien, même si la réalité est tout autre. Quand ils enlèvent leur masque, on voit généralement apparaître une expression de tristesse, de souffrance, de dépression ou de peur. Mais tant qu’ils portent un masque, ils ne peuvent pas sentir leur visage au sourire artificiel. Sentir la tristesse, la souffrance ou la peine ne rend peut-être pas joyeux, mais c’est la seule façon de s’en libérer. Si nous sommes emprisonnés derrière un mur, le soleil ne peut pas atteindre notre cœur. Le prisonnier qui sort de sa cellule est aveuglé par le soleil mais, une fois habitué, jamais plus il ne voudra retourner à l’obscurité.»




menu | article précédent | suivant





manifeste post- . 2023 . Montréal.