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La tristesse n’a pas encore la cote socialement. L’impératif du sourire tient bon. L’acceptation des émotions a fait du chemin dans les dernières décennies. De plus en plus de nos stars sortent leurs mouchoirs durant nos émissions de téléréalité. Mais nous pouvons encore fréquemment observer un professeur ou un parent. Insister nerveusement pour qu’un enfant cesse de verser des larmes. Pour qu’il retrouve «son beau sourire» au plus vite.

La tristesse demeure encore particulièrement taboue chez les hommes et chez les jeunes garçons. Pleurer ne figure pas parmi les attitudes «viriles». Cette croyance continue à engendrer des générations d’hommes incapables d’accueillir la peine de leur compagne et de leurs enfants. Avec les troubles de communication sans fin que l’on peut imaginer.

Et pourtant. Pourtant avoir peur de la tristesse n’a rien de très viril. Avoir peur de la tristesse. Bon nombre n’ont pas le courage de faire face à cette émotion. Parce qu’ils n’ont tout simplement jamais expérimenté dans leur vie. Qu’être en lien dans la tristesse. Vraiment être en lien avec elle. Nous permet justement d’en sortir.

Vous avez peut-être comme nous déjà eu la chance de vivre ces instants magiques. Ces moments où le fait de pleurer face à un ami proche ou votre partenaire. Les yeux dans yeux. En silence. Finissait par vous donner l’envie partagée de rire. Sans raison apparente.

Aucune autre tentative de consolation n’arrive à la hauteur.

Bon nombre éprouvent tellement de honte. Se trouvent tellement «laids» lorsqu’ils sont tristes. Qu’ils ne regardent plus personne. Ils se cachent. Ils détournent leur regard. Ils deviennent donc incapables de renouer le lien. Ce qui ne fait qu’accélérer leur chute. Ils cherchent alors des divertissements. Des pensées positives. Des slogans optimistes. Pour leur faire oublier leur peine. Mais ils doivent constamment recommencer. Car la coupure demeure.

La tristesse apparaît lorsque notre lien se perd. Nos tensions physiques, nos jugements et notre inattention y contribuent largement. Nous nous sentons alors séparés de l’extérieur. Et au lieu de recevoir. Puis redonner. Parce que nous débordons. Nous nous replions sur nous-mêmes. Menant ultimement à ce que l’on nomme la dépression, la tristesse s’avère donc une émotion tout à fait normale chez une personne qui a du mal à entrer en contact avec elle-même. Et avec le monde. La ressentir face au miroir va de soi avant d’en arriver à être fasciné de se voir.

Si la tristesse nous signale ces moments où nous cessons de recevoir. Nous ne craignons plus d’y faire face. Car nous savons comment rétablir le courant. Non pas en tentant de nous convaincre que «ça va aller mieux». Mais en osant rouvrir concrètement notre corps à la Sensation.

«Sadness is a blessing» chante Lykke Li (ex).
La tristesse comme bénédiction.


* * *


Citation d’Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe,
dans Défense du secret, 2015 :


«Entrer dans la tristesse ce n’est pas lui faire une place, ou ne plus en avoir peur, c’est la laisser vous submerger, c’est s’y installer sans idée que cela finira. Il faut beaucoup de courage. Mais c’est là que le retournement, à tout instant, peut se produire. Du bord le plus secret de cette tristesse qui a côtoyé les airs de mort d’une voix enfantine au destin brisé, et sans qu’aucun des vivants ne puisse s’imputer la faute de sa disparition, peut venir la joie. Non pas parce qu’elle viendrait «sauver» ou relever le chagrin mais parce qu’elle est faite de la même étoffe, parce qu’elle vient du même lieu, qu’elle est exactement là, au coeur du noir, son approbation. Là opère la conversion.»




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