menu | contact : info@manifestepost.org
article précédent | suivant










La notion de couple s’essouffle. De l’ampleur de nos échecs amoureux (ex) titrait amèrement un ancien article du magazine Nouveau Projet.

Et pourtant nous savons. Car c’est ce que nous vivons depuis des années. Qu’un tout autre type de relation existe. Et nous ne parlons pas ici d’amour libre, ni de polyamour.

Nous parlons d'un modèle pour l’instant assez rare et peu médiatisé. Qui n’a rien d’utopique. De mielleux. De kitsch. Il embrasse les conflits. Les différences. La colère. Tout en s’éloignant des célèbres drames amour-haine. Il demeure enfin oh combien plus jouissif. Que la plus longue succession d’aventures. Aussi hot soient-elles.

Ces couples tirent leur force et leur intensité d’un phénomène encore bien mal compris de nos jours. Un phénomène pourtant bien connu. Que nous nommons communément. Coup de foudre.

Combien d’incontournables de la musique le célèbrent?
Étrangement, certains se demandent encore s’il existe.

Notre imaginaire collectif nous dicte. Qu’un coup de foudre surgit par accident. Ne dure qu’un instant. Puis disparaît à jamais. Nous constatons quant à nous avec bonheur. Qu’il peut se répéter à volonté. Avec la même personne. Tout en augmentant en intensité au fil des années.

Nous ne parlons pas ici d’un vague sentiment amoureux romantique. Ni d’un simple désir sexuel bestial. Mais bien de réussir à déclencher. Complètement à jeun. Ces moments magiques, déstabilisants et fascinants. Que nous recherchons tant au cinéma.

Ces moments où l’autre nous donne l’impression de briller. Où nous retrouvons enfin à deux tous nos possibles… Même après des années de déjeuners pris en commun. Et sans nous idéaliser pour autant.

Évidemment plusieurs obstacles nuisent à l’expérience prolongée de la magie. Notre manque de disponibilité. Le profond mépris de nos corps. Notre peur de plonger dans l’intensité à jeun. L’ignorance de ce que nous sommes et de ce que nous ressentons. Notre difficulté à communiquer. Notre distraction. Et cette manière avec laquelle s’articule habituellement notre pensée. Articulation qui est tout simplement incompatible avec le coup de foudre.

Ceci dit, tout cela s’apprend.
Il n’est jamais trop tard.
Et assurément trop tôt pour nous dire désabusés.

Imaginer ce que représente une vie. Ce que représente une nuit. Avec celui ou celle en présence de qui nous ressentons la foudre depuis des années.

Inutile de dire que l’idée d’aller voir ailleurs.
Ou celle de multiplier les partenaires.
Ne sont plus très excitantes…


* * *


Citation de Catherine Chalier, philosophe,
dans Lévinas L’utopie de l’humain, 1997 :


«Le visage de l’homme excède toute description possible, celui qui croirait s’en approcher en accumulant les détails – couleur des yeux, forme du nez et de la bouche, traits expressifs, etc. – ne saisirait qu’une image étrangère au visage. La précision de cette perception atteste, en effet, peut-être des qualités d’attention de son auteur, mais elle prouve aussi qu’il ignore radicalement la signification du visage. Car percevoir un visage se vit comme un saisissement qui ne laisse pas le temps de le regarder à la façon dont on contemple une image, un tableau ou encore un paysage, sauf bien sûr à le dé-visager et ainsi à le détruire comme tel en refusant de l’affronter. (…) L’étrangeté sans défense du visage ne peut être perçue par ceux qui font de la lutte pour la reconnaissance l’enjeu par excellence des rapports humains. Il faut en effet qu’ils cessent de vouloir s’imposer aux autres, au prix d’ailleurs fréquent de l’amertume, et qu’ils renoncent aux titres de reconnaissance si souvent évanescents qu’une société leur accorde, pour accéder à la signification du visage. Car celle-ci se donne dans un bouleversement radical qui n’autorise plus de s’accrocher encore à ses titres ou à ses fonctions, comme si le visage appelait celui qui le regarde à avancer vers lui, privé lui aussi de toute protection et requis dans son unicité de personne. La relation de face à face ne se laisse pas penser dans les termes d’une reconnaissance mutuelle. Elle n’advient qu’à l’instant précis où le contexte qui, ordinairement, éclaire les rencontres de ses assurances sur la place des uns et des autres, s’efface sous la force incompréhensible qui, à son insu, émane du visage. Celui qui le regarde reçoit soudainement la révélation d’une vérité que la connaissance conceptuelle ne sait transmettre : dans sa vulnérabilité, ce visage, séparé de moi par la distance invisible de l’altérité, me requiert impérativement. La rencontre du visage constitue un choc que rien, dans le contexte ou dans les paroles échangées l’instant précédent, ne prépare.»




menu | article précédent | suivant





manifeste post- . 2023 . Montréal.