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Les cernes de nos stars figurent parmi les signes de vieillissement les plus photoshopés. Leur fatigue est pourtant aussi réelle que la nôtre. Le port de lunettes devient une des manières de les dissimuler. Lorsque le maquillage ne suffit pas. Et pourtant nos cernes n’ont rien de «laid» en soi. Ils ne nous empêchent en rien de nous voir briller. Seulement entrer en contact avec eux se transforme en épreuve. Qui nous demande en silence. Pourquoi tu te malmènes comme ça? Pourquoi tu ne prends pas le temps de te reposer? Après quoi tu cours?

Les réponses varient selon chacun. Certains craignent simplement le sommeil. Le silence vertigineux de la nuit. De la noirceur. L’imaginaire de leurs rêves. D’autres ressentent le besoin de constamment surcharger leurs agendas. Le repos devient alors un luxe. S’il reste du temps. Et il n’en reste pas. Le café et les boissons énergétiques compensent. Entre d’innombrables lamentations collectives. Sur leur niveau d’abattement.

Nous avons en tant que jeunesse l’art de brûler la chandelle par les deux bouts comme on dit. Comme si nous sentions le besoin de constamment anéantir le contenu de notre réservoir à perte. Alors que nous sommes au sommet de notre énergie vitale. Vivre à fond il disait. Nous le pensions aussi.

Jusqu’au jour où nous avons commencé à découvrir ce qu’impliquait le fait. Ce qu’impliquait le fait. De ne pas être fatigués. Nous l’ignorions. Ou plutôt. Nous l’avions oublié. Dans le passé, notre état normal sous-entendait pratiquement toujours un certain manque. Même nos vacances arrivaient difficilement à nous recharger complètement. Nous ne savions plus ce que voulait dire être vraiment reposés.

Vous savez l’expression «frais et dispos»?

Dépenser moins
, travailler moins et dormir plus allumait notre corps d’une manière particulière. Nous étions plus présents. Plus ancrés. L’intensité de nos interactions augmentait par le fait même. Et vivant des moments dont la qualité nous comblait davantage. Nous cherchions donc moins cette quantité d’événements. Cette quantité d’engagements. Quantité si gourmande en temps.

Jadis nous courrions toujours après quelque chose qui nous échappait. Nous restions debout jusqu’aux petites heures. Malgré la fatigue. En espérant que la magie finisse par se produire. Souvent en vain. Aujourd’hui la vie semble déjà dépasser nos attentes les plus folles. Tout ce qui s’ajoute devient du bonus. Nous aimons avoir un surplus de temps. Nous tenons aux silences dans nos agendas.

Notre rapport au temps a donc changé. Il est souvent dit que le décompte des années se met à accélérer en vieillissant. Ce n’est pas notre cas. Lorsque la Sensation fait partie de votre quotidien. L'ennui trouve beaucoup moins d’emprise. Et nous cessons de nous démener. Dans l’espoir d’enfin créer des moments mémorables. Parce que le mémorable est là. Fascinant. Simple ou exubérant. Juste au cœur de nos journées. Alors nous pouvons nous coucher le soir en paix. En sachant qu’en fermant nos paupières. Nous réalisons aussi quelque chose d’important. De très productif. Et que notre corps. Que nous avons appris à aimer. Nous sera reconnaissant.


* * *


Citation de Moussa Nabati, chercheur, thérapeute et docteur en psychologie, dans Le bonheur d’être soi, 1996 :

«le sujet n’étant pas lui-même érige la démesure en mode de vie, en habitus. Il vit constamment, de façon rigide, selon le même schéma d’hyperactivité, qu’il fasse beau ou mauvais, qu’il se sente en forme ou épuisé, comme si c’était «plus fort que lui» et qu’étant devenu «accro» il avait perdu la souplesse et sa liberté. Il s’interdit, en effet, de «ne rien faire», de paresser parfois, de «traîner» en prenant plaisir aux petites choses simples de la vie en compagnie des siens. La pause, l’arrêt semblent produire en lui d’intenses angoisses de perte de temps, d’ennui et d’inutilité. Pour certains, «n’avoir rien à faire» fait craindre de ne plus se sentir vivant, et «ne pas bouger» évoque l’immobilité de la mort. (…) Cela peut pousser d’aucuns à afficher une façade d’invulnérabilité corporelle, un certain air suffisant et prétentieux de supériorité par rapport aux autres dans un contexte de rivalité. Tous les domaines de la vie quotidienne se transforment ainsi en tournois, en concours, faisant de ces personnes des «bouffeuses d’énergie» en raison de leur besoin infantile de dominer et de réclamer sans cesse des compliments et de la reconnaissance pour se sentir vivantes et utiles. Curieusement, cette agitation anxieuse, excitée, intense, destinée à lutter contre la DIP, la mort dans l’âme qu’elle représente, grignote leur capital santé, les épuise, au lieu de prolonger leurs jours.»




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