menu | contact : info@manifestepost.org
article précédent | suivant










Où se cachait la mort dans notre civilisation avant l'arrivée du covid? Derrière le fantasme de la jeunesse éternelle? Sous la victoire finale sur la maladie? Et pourtant elle surgit sous d’autres formes. Dans les endroits les plus improbables. Alors que les images de crânes se multiplient sur la peau et le linge de notre jeunesse hype.

Plusieurs craignent de mourir tout en se tuant à petites doses. Les suicides spectaculaires soulèvent de grands bouleversements collectifs. Mais combien de milliers de suicides échelonnés dans le temps passent sous silence.

L’invitation à jouir comme si nous allions quitter le monde trop tôt (ex) devient une idée banale au sein de notre culture populaire. L’overdose précoce de nombreuses idoles a profondément marqué l’imaginaire de millions de fans. Le martyre et l’autodestruction érigés en modèles. Lorsque l’espoir disparaît. Et que le vieillissement rime avec dégénérescence. Avec aliénation. Autant tripper à fond durant notre vingtaine. Sans trop songer aux conséquences.

Seulement, dans la plupart des cas. Notre vitalité l’emporte pendant plusieurs décennies supplémentaires. Et ces dernières deviennent le reflet de ce que nous nous sommes construit comme fondation durant notre courte jeunesse. Nos aventures insouciantes se transforment ainsi peu à peu en drames à répétitions. Et les visages perdent de leur éclat. Malgré les sourires que nous tentons d’afficher. Sur Facebook et ailleurs.

Étonnamment, prendre soin de sa vie n’est pas considéré comme étant très «cool». Et « Il faut bien avoir un petit vice » devient la réplique par excellence pour se déculpabiliser.

Rappelons que nous ne croyons ni à la notion de «vice». Ni à la culpabilité. Nous avons néanmoins l’impression que derrière ce manque de considération pour notre propre corps. Derrière ce masochisme aux formes multiples. Se dissimule une haine de soi taboue. Beaucoup plus répandue que certains le pensent.

Évidemment personne ne peut être accusé de se mépriser soi-même. Personne ne naît avec le désir de s’haïr. On l’apprend plus ou moins consciemment de d’autres. De d’autres qui l’ont appris de d’autres. Qui l’ont appris de d’autres.

Un virus.

En matière d’intensité. On aurait dit que jouer avec le feu et transgresser les vieux conseils parentaux engendrent chez plusieurs une sorte d’excitation inégalable. Frôler le moment fatal représente pour certains l’unique manière de devenir présents. De se sentir vivants. Comme s’ils ignoraient encore le caractère follement démesuré. D’une intensité constructive.

Une intensité constructive.

L’expérience en temps d’accalmie d’une attention aiguisée. Semblable à celle qui surgit lors des instants les plus critiques. L’exubérance de la joie qui ne provient d’aucun divertissement. Cette émotion qui nous propulse en avant. Et nous invite à regarder venir la mort en face. Voire même à la célébrer. Sans en accélérer l’arrivée. Et sans ressasser de regrets.

S’il y a une suite. Alors nous continuerons.
Mais autrement.
Notre existence aura déjà surpassé nos attentes les plus folles.


* * *


Citation de Stanislav Grof, psychiatre et co-fondateur du mouvement transpersonnel en psychologie, dans Pour une psychologie du futur, 2000 :

«Le déni psychologique massif de la mort, que les sociétés technologiques ont laissé se développer, quelles qu’en soient les raisons, est la seule explication plausible à cette situation. Ce désintérêt est encore plus frappant, lorsque l’on compare la situation de notre société avec celle des cultures anciennes et préindustrielles, et que l’on prend conscience du fait que leur attitude envers la mort était diamétralement opposée à la nôtre. La mort jouait un rôle absolument central et essentiel dans leurs cosmologies, dans leurs philosophies, dans leur vie rituelle et spirituelle, et dans leurs mythologies, tout autant que dans leur vie quotidienne.»




menu | article précédent | suivant





manifeste post- . 2023 . Montréal.