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L’actuelle conception de l’art véhiculée par notre imaginaire collectif daterait seulement de la venue de la société industrielle. Yves Robillard, figure marquante de la contre-culture québécoise, nous l’a déjà rappelé (ex). L’art serait ainsi devenu, après l’effondrement de la religion, le nouvel opium des foules. Pour plusieurs, s’identifier temporairement à leur artiste préféré. Mainstream ou indie. Permet de goûter à une liberté qui leur semble autrement inaccessible. De fuir l’aliénation de leur quotidien par personne interposée.

Les stars figurent ainsi comme les nouveaux saints de notre époque.
Lorsqu’elles ne se prennent pas tout simplement pour des dieux.

Bien que la création se démocratise de plus en plus. Via entre autres internet. Le système de l’art en maintient le caractère élitiste. Les artistes se trouvant souvent subventionnés par l’État et les différents conseils des arts, qu’une minorité ont l’occasion d’être payés pour créer et exprimer leurs univers personnels.

L’évaluation et le jugement demeurent ainsi inévitables afin de sélectionner les heureux élus. Et cet état des choses exerce une pression psychologique notable sur les artistes. Tout en signifiant aux autres que ce qu’ils présentent a moins de valeur. Des foules entières se maintiennent finalement dans leurs rôles de spectateurs/consommateurs. Ou alors d’artistes amateurs. Sans accorder à leur création. La considération qui leur permettrait justement. De les combler.

Pour plusieurs artistes et non-artistes, créer demeure un processus extrêmement angoissant. La peur de faire quelque chose de «laid». De «nul». D’«inintéressant». L’ironie sert alors de protection. Et dans de nombreux cas. L’alcool et les drogues finissent par venir à la rescousse.

Cette réalité plutôt répandue reste taboue. Il n’est évidemment pas enseigné dans les ateliers populaires de créativité. De boire quelques bières ou de se rouler un joint pour faire venir l’inspiration. C’est pour dire comment le processus créatif à jeun. Dans toute sa puissance. Son intensité. Son humilité. Demeure souvent aussi méconnu que le coup de foudre. Avec qui il partage d’ailleurs plusieurs points en commun.

Vous comprendrez que nous croyons que tout le monde est créateur, créatrice. Que chacun et chacune a un univers unique à partager. Un monde qui est digne d’intérêt. À condition que nous lui accordions nous-même du temps. Et une valeur. Une valeur ni supérieure. Ni inférieure. Mais égale aux autres. À condition de jouer à oublier ces concepts de «génial» et de «nul». Oublier tous leurs cousins bipolaires qui nous paralysent. Et qui bloquent justement l’inspiration. Qui cogne constamment à notre porte.

Les critiques culturels. La manière avec laquelle nous avons appris à évaluer les gens et les choses. Nous encouragent bien sûr dans la direction opposée. Mais personne ne nous oblige à penser comme tout le monde. Si le faire nous inhibe. Et nous rend malheureux.


* * *


Citation de Rolando Toro, anthropologue et psychologue,
dans Biodanza, 2000 :


«La conception élitiste qui sépare les créateurs des personnes communes n’est rien d’autre qu’un des nombreux préjugés culturels qui, au fond, renforcent la tragique dissociation de l’homme et de son œuvre. Dans l’instant où nous sommes séparés de notre œuvre, chacun de nos mouvements est dissocié de notre émotion. Les plus importants systèmes d’aliénation qui s’exercent par le travail institutionnalisé consolident la scission entre ce que nous sentons et ce que nous faisons. De façon dissimulée, la civilisation réprime la fonction naturelle de la créativité.»




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